
C’est un réseau à part. Un réseau jamais emprunté par l’automobiliste, parcouru par la faune sauvage, conçu pour leur permettre de traverser les voies en toute sécurité. Ces grands ponts végétalisés et arborés surplombent les autoroutes de France, conçus comme une prolongation de l’écosystème environnant, afin de tâcher de restaurer et respecter les habitudes des animaux.
Ces aménagements sont désormais savamment pensés : un passage central très ouvert et offrant une excellente visibilité pour les cerfs, chevreuils et autres sangliers ; des haies sur le côté pour les petits mammifères ; des hibernacula pour le repos des reptiles ; des amas végétaux appelés andains pour la petite faune terrestre et les insectes et des mares pour les batraciens.
Désormais, chaque écopont est végétalisé avec des plantes locales, pour la plupart recherchées et comestibles par les animaux. Tout, jusqu’à la composition du sol et du sous-sol, est étudié pour maintenir une végétation et un habitat naturel favorable à la circulation des animaux et à leur brassage génétique.

Photo R.A et Vinci Autoroutes
En l’espace de 40 ans, les savoirs écologiques et les enjeux liés à l’écologie routière ont beaucoup progressé. Les passages pour la faune sauvage s’enrichissent d’expériences nées de 60 ans de pratiques plus ou moins heureuses et lient les territoires naturels au travers de la maille des nouvelles autoroutes.

© Photothèque VINCI Autoroutes – Emmanuel Rondeau
Aujourd’hui, les retours d’expérience s’appuyant sur des suivis de longues durées sont très positifs. C’est l’un des paradoxes de l’écologie routière : des sommes importantes sont investies dans les ouvrages de défragmentation (écoponts, écotunnels…) sans que soit évaluée précisément leur efficacité. Depuis le projet d’une autoroute jusqu’à son exploitation, l’évaluation des passages pour la faune reste le maillon faible à renforcer, pour faire mieux, avec des moyens optimisés.
La reconquête de la Trame Verte et Bleue concerne désormais les projets neufs (conservation des corridors) et le réseau autoroutier ancien (effacement des ruptures), dans le cadre d’une procédure adaptée : le Paquet Vert Autoroutier (PVA), dont le volet « biodiversité » s’attache à rétablir les ruptures écologiques générées par les autoroutes en service.

© Département de l’Ain 2
Un peu d’histoire et de technique
Parce qu’elles rompent brutalement les continuités écologiques, les autoroutes fragmentent les écosystèmes, réduisent les indispensables brassages des espèces et dégradent profondément l’équilibre des milieux en place.
La France est l’un des premiers pays à avoir construit des passages pour la faune, dès les années 1960.
Depuis lors, la perception des raisons pour lesquelles un passage doit être construit a évolué.
Alors que les premiers passages à faune étaient essentiellement destinés au gibier, ceux construits actuellement s’inscrivent dans une perspective de conservation de la biodiversité territoriale. La France est passée d’un point de vue où l’accent est mis sur le gibier à un point de vue mettant en avant la question des habitats à grande échelle.
Cette nouvelle perspective gouvernementale est assez récente en France car ce n’est que suite à l’application des directives européennes « Habitats » et « Oiseaux » pour la construction du réseau européen « Natura 2000 », que la France a élaboré la « Stratégie nationale de biodiversité » et son « Plan d’action infrastructures des transports terrestres » (2005). Une des actions de ce plan consiste à assurer le bon fonctionnement des corridors biologiques.

© Sylvie Vanpeene-Irstea d’Aix-en-Provence
L’évolution des aménagements pour la faune
L’existence de passages pour la faune n’est, comme nous l’avons vu, pas récente. Le premier passage réalisé en France sur l’autoroute A6 est aménagé en forêt de Fontainebleau en 1960.
Cependant, ces passages de la 1ère génération (1960 – 1970), sous-dimensionnés et souvent mal positionnés, sont peu utilisés. Sans recul, si ce n’est celui des chasseurs, l’état français a agi durant la décennie 1960-1970 sans consulter ou disposer des connaissances scientifiques adaptées.
Des solutions ont toutefois été recherchées pour faire traverser la faune sauvage (trottoirs enherbés), mais les résultats n’ont pas toujours été probants.
Les passages de la 2ème génération (1970 à 1980) voient leurs caractéristiques améliorées bien que les finitions restent insuffisantes. Les passages manquent en effet d’attractivité pour la plupart des espèces sauvages et n’atteignent pas leurs objectifs malgré des caractéristiques techniques mieux adaptées aux exigences de la grande faune notamment.
Des matériaux nouveaux sont également testés avec plus ou moins de succès : la passerelle de Saverne sur l’A4 en bois lamellé collé (60 m de long, 10 m de large) est une belle réussite technique et esthétique mais un échec en termes de restitution de corridor écologique. Elle se révéla en effet inutilisable pour les cerfs en raison de son étroitesse et d’un mauvais positionnement ne correspondant pas à l’axe de déplacement interrompu par l’autoroute. Par ailleurs, le revêtement des chemins forestiers est inadapté. La seule présence d’un revêtement bitumineux est un obstacle pour certaines espèces forestières telles que le mulot à collier ou le campagnol roussâtre incapables de traverser la voie. Pour les espèces gibier, l’effet répulsif est évidemment moins tranché mais ce type de passage, dont la position et les dimensions conviennent à une utilisation régulière, n’est pas très attractif.
Grâce à leurs caractéristiques, leurs formes et leurs abords aménagés, les ouvrages de la 3ème génération (1980 à nous jours) ont des caractéristiques mieux adaptées à la faune sauvage. Des formes particulières telles que celles en double entonnoir sont recherchées pour atténuer l’effet tunnel que fui le grand gibier.
Les passages inférieurs sont réputés moins efficaces que les passages supérieurs qui offrent l’avantage de pouvoir être végétalisés grâce à la présence d’eau et de lumière. Les passages supérieurs sont donc à privilégier lorsqu’on a le choix. Mais, le plus souvent, c’est le profil en long qui impose les caractéristiques du passage et on aurait tort de se priver de passages inférieurs car ils donnent satisfaction lorsqu’ils sont placés au bon endroit, avec des caractéristiques adaptées aux objectifs de défragmentation et lorsque les abords sont correctement aménagés
Un passage pour les cortèges faunistiques fonctionne lorsqu’il remplit les 3 critères déterminés scientifiquement :
– le passage est aménagé très précisément sur l’axe de déplacement interrompu,
– les dimensions sont adaptées aux espèces visées,
– les abords de l’ouvrage sont attractifs et aménagés de telle sorte que l’accès au passage soit facile.
La dernière génération de passages
Les passages de la dernière génération sont conçus comme des ouvrages exceptionnels de type viaduc ou tranchée couverte. Les écoponts intègrent désormais la notion de tranquillité, nécessaire aux espèces sauvages pour intégrer cette infrastructure dans leur déplacement naturels.
Ainsi dès la conception, sont intégrés : écran pare bruit et pare lumière, haies, repère de déplacement des chauves-souris, perchoirs potentiels, barrières et blocs de pierre anti-intrusion (aux véhicules).
La conception et les aménagements sont désormais spécifiquement conçus pour favoriser l’attractivité des ouvrages (déplacement des animaux et gites potentiels) via des andains de bois morts, des éco-restanques (gites permanent ou de transit), des plantations et semis.
A noter que la France dispose d’un guide technique sur les passages pour la grande faune depuis 1993. En 2005, elle a également publié un guide technique sur les aménagements et mesures pour la petite faune. Ces deux guides ont été élaborés par le Service d’Etudes Techniques des Routes et Autoroutes (Sétra), un organisme étatique dépendant du Ministère de l’Equipement, des Transports, du Tourisme et de la Mer.
De plus, la loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982 impose que les infrastructures construites fassent l’objet d’un bilan socio-économique, y compris environnemental, trois à cinq ans après la mise en service de l’autoroute. Cette disposition détermine la nécessité d’effectuer un examen de l’efficacité des aménagements construits.
Ce n’est qu’à partir du Grenelle de l’environnement en 2009-2010 que la vision s’est élargie et qu’on a commencé à prendre en compte les continuités écologiques au sens large. Il s’agit désormais d’une obligation légale pour les gestionnaires d’autoroutes qui construisent de nouvelles infrastructures. S’inscrivant dans la démarche ERC (Éviter Réduire Compenser), les passages à faune constituent l’une des principales mesures de réduction des nuisances. C’est pourquoi ils sont dimensionnés et aménagés pour assurer la perméabilité de l’infrastructure à un maximum de cortèges faunistiques allant des petits invertébrés aux plus grands mammifères en passant par les amphibiens, les oiseaux ou les chauves-souris.

Faisabilité et réalisation des travaux :
Cécile Macherey, chef du service Environnement chez Ingerop, interviewée par Infociment déclare :
« Si les pentes d’accès sont trop importantes, l’efficacité sera probablement moindre car les grands animaux préfèrent avoir une perspective. De plus, il est préférable que l’autoroute ne soit pas visible pour les animaux en approche car le flux des véhicules et en particulier les phares sont susceptibles de perturber l’efficacité de la traversée. »
Cela se traduit par la grande largeur (25 m) des ouvrages réalisés avec un passage central très ouvert qui évite l’effet entonnoir et offre une excellente visibilité afin d’encourager les cerfs, chevreuils, sangliers et autres grands animaux à traverser. Les rives du tablier sont équipées de palissades, d’écrans occultants et d’une végétation haute pour conforter l’aspect boisé.
« Nous étudions également la composition du sol et de la flore pour planter des essences locales appétentes, poursuit Cécile Macherey. Et nous installons plusieurs types d’aménagements écologiques afin d’instaurer une grande diversité d’habitats naturels et de créer de nouveaux écosystèmes susceptibles d’accueillir tous les types de faune : des zones minérales, des points d’eau, des andains et des hibernacula (lignes de blocs rocheux et de branchages plus ou moins volumineux) qu’affectionnent la petite et la moyenne faune – reptiles, oiseaux, insectes, amphibiens, renards, blaireaux, lapins de garenne, lièvres… »

« Compte tenu de l’investissement, il est bien sûr indispensable de savoir si les ouvrages jouent pleinement leur rôle. En tant qu’« ouvrages vivants », ils nécessitent une surveillance régulière, voire des réadaptations en fonction des retours d’expérience, afin d’être toujours mieux adaptés pour la faune et la flore locale. Pour ce faire, des protocoles de suivi écologique sont mis en place au moyen de pièges photographiques qui se déclenchent au passage d’un animal. Ces dispositifs d’observation permettent de savoir si l’ouvrage est bien adapté, le type de faune qui l’utilise et éventuellement pourquoi certaines ne l’utilisent pas. Les données sont ensuite partagées avec des chercheurs, contribuant ainsi à enrichir les connaissances scientifiques liées à la faune sauvage et aux habitats naturels et à faire évoluer les ouvrages d’arts dédiés. »


Crédits Photos Vinci Autoroutes.
Les travaux sont réalisés par l’Etat pour les routes nationales et autoroutes propriétés de l’Etat. En ce qui concerne les autoroutes concédées, la procédure est différente. Suite aux « engagements de l’Etat », une procédure d’adjudication a lieu. La société qui a obtenu la concession est chargée de la réalisation des travaux et de l’entretien du tronçon.
L’écopont de Vidauban, entre le massif des Maures et la plaine de l’Argens. Photo R.A. et Vinci Autoroutes
Le suivi de la mise en œuvre des « engagements de l’Etat » pour l’ensemble du réseau routier et autoroutier français est fait par le comité de suivi constitué à cet effet par le préfet et les responsables locaux concernés (élus locaux, acteurs économiques, associations locales).
L’aménagement de l’ouvrage reproduit l’écosystème environnant pour compenser l’effet de rupture généré par l’infrastructure. © Romain Courtaud
Aider à rédimer la fragmentation du paysage à grande échelle
Ils sont invisibles aux yeux des automobilistes qui les franchissent régulièrement sur les autoroutes : les « écoponts » et les « écoducs », qui permettent aux animaux de franchir les voies en sécurité, sont devenus au fil des décennies essentiels à la préservation de la biodiversité.


Les écoponts en France ont été mis en place dans le but de réduire les impacts des infrastructures routières sur la faune et la flore, en permettant aux animaux de traverser les routes en toute sécurité.
Leur objectif principal vise à réduire la fragmentation des zones naturelles afin d’améliorer le fonctionnement écologique des habitats et les échanges entre les populations.
Le suivi de la fréquentation de la faune constitue l’indicateur principal permettant de mesurer la fonctionnalité des écopons.
Un brin de technique, les aménagements communs à tous les écoponts et les protocoles de suivi
Favoriser l’attractivité des ouvrages (vivre et traverser) :
- Aménagements d’andins, gites et hibernaculum
- Aménagements de mares temporaires

Plantations et semis adaptés au contexte écologique de chaque site
Favoriser la tranquillité :
- Écran pare bruit et pare lumière, haies et brandes
- Barrières et blocs de pierre anti-intrusion
- Panneaux d’information du public et d’interdiction de traverser
Assurer la sécurité de la faune :
- Clôture étanche pour la grande et la petite faune
+ aménagements spécifiques à chaque site
Un suivi environnemental des ouvrages pour maintenir et toujours améliorer les conditions de passage
Pour analyser l’adoption des écoponts par les animaux – en fonction de l’espèce ou de la période concernée, l’utilisation ne sera pas la même – des dispositifs d’observation et de suivi des passages de la faune sont mis en place grâce à des caméras dissimulées qui comptabilisent les passages. Un écopont est un ouvrage vivant, régulièrement aménagé afin d’être toujours plus accueillant pour la faune.
Enfin, en partageant ces données et leur retour d’expérience avec des chercheurs, les études de chaque ouvrage participent également à l’enrichissement des connaissances scientifiques liées à la faune sauvage et aux habitats naturels. Les protocoles de suivi couvrent ainsi le suivi paysager, floristique, entomofaune, les amphibiens, les reptiles ainsi que les oiseaux, les mammifères, micromammifères, la grande et mésofaune et les Chiroptères.